LE DORIS POUR LA PECHE A TERRE-NEUVE

 

Les morutiers qui pratiquaient la pêche aux harouelles ou lignes dormantes utilisaient de tout temps pour mouiller et relever leurs tentis des chaloupes. Ces embarcations lourdes et incommodes à manipuler n'étaient pas non plus bien adaptées aux conditions de pêche sur les bancs de Terre-Neuve et beaucoup désoléde pêcheurs se perdirent sur ces chaloupes malgré une réglementation sévère qui prescrivait par exemple qu'en temps de brume les embarcations devaient rester reliées au bord par une ligne filée au fur et à mesure qu'elles s'éloignaient du batiment.

Le système des chaloupes dura jusqu'après la guerre de 1870. A cette époque les Américains avaient remplacé celles-ci par de légères embarcations qui semblent imitées de celles des pêcheurs de la côte sud de Terre-Neuve, les " Warys " sorte de canots de 7 à 8 mètres de long à l'avant pointu, aux flancs évasés et à fond plat beaucoup plus aisés à " sailler " sur le sable ou les galets que des embarcations à quille. Le doris des Américains ressemblait étrangement au Wary : un peu moins long, un peu moins large et moins élevé sur l'eau, il en différait surtout par son tableau arrière : triangulaire la pointe en bas, formant voûte au lieu d'être pratiquement droit et trapézoïdal. Contrairement aux apparences ces légers doris tenaient remarquablement bien la mer et se révélaient très stables en raison de leurs formes évasées ; en outre, comme les bancs étaient amovibles on pouvait aisément les empiler les uns dans les autres à bord des navires.

En 1872 les goélettes Saint-Pierraises se mirent à employer les doris achetés à l'époque aux Américains ; l'industrie locale se mit alors à construire des doris sans grand succès semble-t-il puisqu'en 1886 les Saint-Pierrais achetaient encore tous les ans 1 000 à 2 000 doris aux Américains.

C'est à partir de 1877 que quelques navires métropolitains armés à Fécamp et à Saint-Malo pour la pêche sur le grand banc avec salaison à bord, commencèrent à utiliser des doris. Ils en tirèrent de si bons résultats que l'emploi s'en généralisa et le doris fut adopté par tous les armateurs vers les années 1880-1885.

C'est à peu près vers cette époque que Lemarchand François, ancien capitaine au Iong cours, mit au point à Saint-Malo la construction du vrai doris américain. Son modèle eut beaucoup de succès : plus long, à maître couple plus ouvert que ceux des précédents constructeurs, il était plus porteur et les pêcheurs disaient qu'ils y mettaient deux mannées de poisson de plus.

Chez Lemarchand entre 1890 et 1930 on construisait 200 à 250 doris par an. La construction commençait fin mars et durait jusqu'en septembre ce qui avait l'avantage d'utiliser du personnel à une époque où le chantier n'était pas occupé avec les réparations de navires. Lemarchand avait imaginé, ce qui est remarquable pour l'époque, des procédés de construction en série et sur le chantier il y avait toujours 10 doris au tracé, 10 au montage et 10 à la peinture.

bibliographie : Les bateaux des côtes de la Bretagne Nord aux derniers jours de la voile - Jean Le Bot - Edition Glénat 1990